Ammar Bouras


Les œuvres de Ammar Bouras puisent dans l'histoire complexe de l’Algérie. En tant que photojournaliste, il a accumulé un fonds documentaire important composé de milliers de négatifs et d'images d'archives tirées du domaine public.
Cette exposition immersive interroge les représentations de la violence pour en révéler le pouvoir cathartique par le travail quasi psychanalytique des images et du son qu'entreprend l’artiste. La scénographie plonge dans l’image : à sa surface les modes d’apparition de l’histoire politique de l’Algérie, et à ses profondeurs le processus curateur de l’artiste.



« Je ne devais pas être là, je le suis finalement pour toujours. » — Ammar Bouras

L'Algérie traverse une période de violence dans les années 1990, connue sous le nom de « décennie noire », marquée par des attaques terroristes et une répression gouvernementale, entraînant des centaines de milliers de morts et un exode massif. Ammar Bouras, alors photographe de presse, assiste à un moment tragique de l'histoire politique du pays, la fusillade qui a coûté la vie au président Mohamed Boudiaf en 1992. Jusqu’en 2011, il est dans l’incapacité de sortir ses bobines du placard. Avec Tag’Out, il entreprend le travail d’une imposante mosaïque qui le sortira de sa paralysie. L’installation présente des vidéos de propagande terroriste circulant sur Internet dont le bruit assourdissant est interrompu par celui à peine perceptible des coups de feu tirés sur Boudiaf, à l’écho retentissant dans le pays. L’artiste use des mêmes stratagèmes convoqués par le sentimentalisme des médias pour s’extirper de la violence et investit les images d’un pouvoir cathartique.

Par le dispositif du montage vidéo, Ammar Bouras décèle avec lucidité les mises en scène à l'œuvre dans les représentations du pouvoir. Ez-zaim, le roi est mort, vive le roi s’attarde sur la gestuelle du président Abdelaziz Bouteflika lors de sa campagne électorale, tant celle-ci relève du théâtre, voire de l’intimidation. Serment montre, non sans ironie, comment l’hélicoptère du film d’instruction militaire du cinéma des armées « Contre-guérilla » rappelle celui de l’action man MacGyver et joue sur les mêmes ressorts de la fiction pour diffuser sa propagande. Ensemble, ces œuvres exposent une phénoménologie de la violence.

Au moment de la décennie noire, l’Algérie alors isolée du monde, se tourne vers la télévision dont la multitude de paraboles jonche encore aujourd’hui les toits de foyers algériens. Ammar Bouras photographie, sidéré, les terroristes islamistes qui miment sans état d’âme les exécutions sommaires. Le mutisme qui entoure cette période entretient la rémanence de traumatismes collectifs.

En réponse aux chocs, Bouras veut élaborer un documentaire journalistique là où l’historiographie est absente. Dans 4°3’55’’N 5°3’23’’E - Traces, l’artiste raconte son périple pour accéder aux archives nationales afin de reconstituer une mémoire commune, France - Algérie. Reste qu’il faut un visa, la réalité s’interpose entre lui et cette mémoire. À Bouras de fonder un témoignage en allant à la rencontre de l’histoire vivante de la montagne Taourirt Tan-Afella. Il réactive la charge du lieu, le Sahara algérien, et s’interroge sur ce qui n’est plus visible et qui pourtant persiste.

La résurgence d’images le hante. Si l’artiste travaille sans relâche des heures durant, c’est parce que les images le travaillent en retour. Lorsque la peur paralyse, il faut accéder à une nouvelle langue qui fera émerger ce qui était en-deçà du langage. De cette manière, Stridences, sangcommenttaire ? commue ce que le deuil a d'aigu et d’insupportable. Dans une entreprise curative, au sens étymologique de prendre soin, Ammar Bouras livre un travail thérapeutique des images.

Reste que Ammar Bouras est l’insaisissable anonyme de ses vidéos. Il tente d’échapper à un danger qui n’est pas nommé. Est-ce la terreur noire qui le poursuit dans Un Aller simple ? Est-ce le besoin de rester caché pour vivre sa sexualité dans 1001 nuits - Cyberchahrazed ? Bien que Ammar se retrouve dans chacun de ses montages, qu’on entend les conversations loufoques entre amis dans Tablod’Bord, il s’efface. Son individualité peine à se maintenir à la surface de l’image. Par des procédés chimiques, il détruit et reconstruit son reflet, se cherche dans l’image de l’Autre.

Ammar est un artiste au travail. Nous aussi, nous devrons travailler avec la même frénésie à surplomber le monde des images. Leur inflation à l’heure des guerres médiatiques nous prive du soin apporté par le temps. Les espaces de l’art nous permettent de capter quelque chose de ces représentations submergées pour voir ce qui les tiraillent. Comment, à la suite de la démarche de l’artiste, se confronter différemment à la violence de l’image, se construire avec elle ?